30 novembre 2017

Mon hiver


Voilà le premier jour de neige. Les flocons auraient caressé ton petit nez pendant qu'on préparerait ton premier Noel. Par la fenêtre de la grande baie vitrée, je regarde les petits moineaux qui viennent picorer les graines, en espérant peut-être t'apercevoir. Le temps a filé mon petit Théophile, d'un coup l'hiver est arrivé comme une chappe de plomb, le ciel c'est rapproché de l'état de mon coeur, il est devenu gris et noir. La pluie tombe à l'intérieur de moi aussi, sans discontinuer. Les feuilles mortes s'amoncellent dans le jardin, il est loin le temps où je jardinais sans relâche car c'était la seule chose que je savais encore faire. Cultiver cette terre pour oublier mon ventre devenu un trou béant de cimetière. J'en ai planté des rosiers, toutes les plantes portent ton nom et celles d'autres petits enfants partis tellement tôt. Maintenant les fleurs sont tombées, les branches sont grises. Je regarde la nature mourir avec étonnement. Pourquoi n'est-elle pas morte plus tôt, comment c'est possible que le printemps soit arrivé après ta mort. Comment est-ce possible qu'en mars, il va de nouveau revenir. On dirait que l'hiver a débarqué à retardement, qu'il devait venir en février dernier quand tu as fermé tes si beaux yeux. Car mon hiver à moi est arrivé à ce moment où j'ai reposé ton corps dans le berceau et où mes mains se sont vidées en même temps que mon âme, de toute leur substance. Mon hiver à moi est arrivé en février, et je ne suis pas capable de réaliser que quelque chose fleurit de nouveau. Cette petite fille en moi, que ressent-elle? Je n'arrive pas à m'adresser à elle, comme si lui parler la ferait disparaitre aussitôt, comme un petit animal saisi d'effroi. Est-ce qu'elle se sent bien dans sa petite maison. Est-ce que tu as laissé une place toute chaude et agréable. Dis moi que tu lui rends visite pour lui donner l'amour qui s'est tari en moi. Dis moi que tu la serres dans tes bras d'ange, car moi je ne peux pas l'atteindre. 

Mon hiver à moi n'est pas fini, et il a commencé depuis déjà tellement de mois. Tellement de mois sans toi Théophile. Est-ce toi cette petite mésange bleue qui vient dans l'abri sous la neige ? Est-ce toi le rouge-gorge qui regarde à la fenêtre ? Nous te chercherons toute notre vie. C'est la malédiction du parent désenfanté de chercher l'enfant perdu partout. Partout on cherchera. Dans un regard, dans un aimal, dans un nuage. On cherchera des réponses qu'on obtiendra jamais : est-ce que c'était écrit dans les lignes de ma main, est-ce que j'aurais pu changer quelque chose pour te sauver. Est-ce que j'ai vraiment tout fait. 

On ne jouera pas dans la neige, tu ne feras pas de luge. Et ce Noel est bien le plus triste de toute ma vie. Et comme pour le soleil qui brille, je me pose la même question : pourquoi les lumières scintillent, pourquoi les chants sont joyeux, pourquoi les foules se pressent dans les magasins, pourquoi le monde continue-t-il d'être heureux. Pourquoi ne sommes nous que deux sur cette carte de voeux. 

Il y a des douleurs qui ne saignent qu'à l'intérieur. Avec le temps qui passe j'ai fini par mettre un sourire sur ma blessure. Je prépare méticuleusement une petite chambre rose et doré en me demandant toujours dans quelles couleurs tu aurais évolué. Je prépare cette chambre pour conjurer le sort, j'installe tout pour que cette fois le bonheur arrive, pour qu'il soit certain d'être attendu et très bien acceuilli. Pour que ce bonheur ne s'enfuie pas. La table à langer est dans la salle de bain, les lapins en peluche dans leur panier, les petites robes sont dans l'armoire, les carrés de mousseline, les draps, le petit lit blanc. Ne part pas cette fois. Cette fois regarde tout est prêt pour le bonheur. Ne part pas cette fois. Cette fois je ne le supporterai pas. 

Est-ce que tu vois le tapis blanc qu'est devenu le jardin, depuis le ciel ? Est-ce que tu seras là à quand Elle lancera sa première boule de neige ? J'ai choisis son prénom, et toi je sais que tu le connais. Peut-on souffrir et être heureux en même temps pendant longtemps? Je n'ai pas encore appris à vivre avec cette dualité Théophile, je n'apprendrai jamais à vivre sans toi. Je ne ferai pas avec. J'apprendrai à vivre avec toi dans mon coeur, dans ma voix, j'apprendrai à vivre sans cette partie de moi que tu as emmené de l'autre côté avec toi. Je ne sais pas encore ce que c'est la vie sans toi, je la découvre tout juste. Elle est tortueuse, elle est étrange et parfois je n'arrive plus à me souvenir de ce que j'étais auparavant, avant le jour zéro de mon existence. Je n'arrive plus à me souvenir de la manière dont je raisonnais, des préoccupations qui m'animaient. Je ne sais pas encore, je dois apprendre à vivre avec ce deuil qui prend chaque jour une nouvelle forme. Je ne sais pas encore non plus comment vivre avec Elle. J'apprendrai ça aussi. Ce sera surement aussi doux que difficile. Tu vois je ne sais même plus si je suis épuisée ou si j'ai encore plus de force qu'avant. 

Je sais que c'est ce coeur qui bat à l'intérieur de moi qui a remplacé le mien. Mutuellement, chacune, nous nous façonnons, je la crée pendant qu'elle panse chaque petite incision que le destin a creusé. Je l'oxygène, pendant qu'elle caresse chacun de mes petits atomes morts d'asphyxie. Je me demande souvent si elle me fera revivre. Mais au final c'est elle qui fait que chaque jour je respire. Chacun de ses coups me fait sourire comme au premier jour; comme à la première grossesse. Le malheur m'a enlevé toute naiveté, mais personne ne m'enlevera l'émerveillement devant cette nouvelle petite vie. Personne ne m'enlevera le désir de voir jouer des enfants dans mon jardin, l'espoir de serrer les miens dans mes bras, l'envie de me battre pour nous. Regarde moi Théophile. Regarde moi depuis le ciel. Elle ne m'a pas anéantie cette putain de maladie. Personne ne m'enlèvera le bonheur de continuer de vivre et de chérir chaque seconde pour toi.

28 novembre 2017

Et le manque

J'ai été au grenier chercher les affaires, une envie de faire le tri, de faire notre nid, de nous organiser, de trier ma vie. C'est là que je suis tombée sur tes échographies, mon petit chat, mon petit Théophile. Que de larmes je verse, et je ne pense pas que ça s'arrêtera un jour. Mon beau petit garçon. Quel beau petit nez, quelles belles petites mains, quelles belles petites jambes. Quelle terrible injustice. Quel manque. Je ne sais pas si je vais m'en sortir, je ne crois pas qu'on peut se sortir de cette peine là. 

Tu me manques tellement, tellement. Tellement. Aujourd'hui, neuf mois après ta mort, la douleur est presque la même que le jour où j'ai du laisser ton petit landau de verre dans le couloir pour que l'infirmière te conduise à la morgue. Presque la même tu vois. Elle n'a pas beaucoup changé. La douleur a creusé mon visage au fil des semaines, cette nouvelle grossesse a rendu mes joues roses, mais mon coeur est tellement éprouvé. 

Chaque nuit je fais le même rêve d'abandon. Je suis seule, tu n'es plus là, ton papa n'est plus là, ta soeur n'a jamais été là. Chaque nuit je me cogne et me soulève, je crie dans mon sommeil. Certains soirs je ne crie pas, je me réveille juste saisie d'effroi et je serre dans mes bras ce bout de famille qui reste. Elle bouge, mais parfois ça n'apaise pas ma peine. Elle bouge, alors je sais qu'elle est toujours vivante, c'est ça de pris, c'est déjà ça au moins. Je n'aurais pas à accoucher d'urgence cette nuit, je n'aurais pas à pousser un petit corps mort. Elle est vivante. Je peux dormir et retrouver les mauvaises ombres que mon inconscient anime. 

C'est aussi la réalité du deuil périnatal: être hanté par la mort, celle qui vient sans prévenir, celle qui ne soulage pas, celle qui emporte c'est tout. Mon beau petit garçon. Je voudrais te serrer dans mes bras, te murmurer les mêmes mots secrets que je t'ai dit pour la dernière fois. Dieu que la plaie est vive. Tout est si acéré, prêt à saigner à chaque mot. Je voudrais trouver la paix d'autrefois, m'endormir avec ton odeur de menthe douce. Je voudrais retrouver la sérenité d'autrefois. Je ne sais pas si elle reviendra.

24 novembre 2017

Terre/Ciel

Ton absence Théophile se vit différement chaque jour. Chaque matin le deuil prend une nouvelle forme. Aujourd'hui c'est un goût amer et une douleur sourde, hier c'était une forme d'hébétude. Demain qui sait. Bientôt viendra la Saint-Nicolas, cette fête des enfants dont tous les parents parlent en souriant. Les chants, les cadeaux. Les petits chaussons à la cheminée. Nous les avions mis l'an dernier, tes petits chaussons mouton dans lequel tu ne mettras jamais les pieds. Nous les avions rempli de douceurs, le sourire aux lèvres nous aussi. Tu allais bientôt arriver, mai serait bientôt là, nous allions être une famille si comblée. Finalement nous sommes bien une famille, mais décomposée entre terre et ciel, brisée. Tes petits chaussons dans lequel tu ne mettras jamais les pieds sont au grenier. Il en coutera à ton papa de les redescendre et de les remplir à nouveau pour te gâter dans l'au-delà. Et comme ajouter cette nouvelle paire de chausson aux côtés des notres, cette petite paire de ballerines rose surréaliste. Des bonbons pour toi, des bonbons pour elle. Finira-elle par les mettre dedans, ses petits pieds? Auront-ils assez grandi, pourra-t-elle un jour marcher ? 

Ceux qui ne connaissent pas le deuil d'un enfant ne comprendront pas toujours cet aller-retour entre la peine sans fin et l'espoir d'autre chose. Ils penseront qu'envisager le pire c'est regarder en arrière. Ils ne sauront pas qu'avec un enfant mort on ne va plus jamais de l'avant. On met un pied devant l'autre en hésitant et c'est déjà beaucoup. On ne marchera plus jamais comme avant. Mais cet effort là, cette aventure de nouvelle vie où on récupère nos morceaux, elle ne se dira pas. Nous écoutons les récits des Saint Nicolas de tous les petits en se disant que Théophile aurait dû être là entre les chocolats et les speculoos, notre cadeau de vie à nous. Ils ont oublié les autres, ils ont oublié que la vie n'a pas repris, qu'on a pas retrouvé nos morceaux, que ce n'est pas encore fini, que ça ne le sera jamais, que ça ne marche pas comme ça, que c'est bien plus subtil. 

Il n'y a pas de manuel pour les parents des enfants défunts, il n'y a même pas de nom pour nous appeler. On est simplement ceux qui ont perdu un bébé, ils le diront en chuchotant comme si le dire à haute voix aller porter malheur. Ils le diront en frémissant. Ou ils ne le diront plus, pensant que cet épisode de notre vie ne peut pas nous définir. Et pourtant il nous définira.

Il n'y a pas de manuel. Il faut tout leur expliquer. C'est pour ça aussi que j'écris Théophile, j'écris pour que quelque part, quelqu'un puisse savoir. Car plus le temps passe, moins j'ai envie de parler de toi à ceux qui ne comprennent rien. Tu es trop précieux. Les paroles des autres arrivent trop tard, parfois trop tôt, elles ne sont que rarement bien dosées. Puis il y a ceux qui ont trouvé les mots, qui t'ont découvert, qui ont cherché à te connaître, parfois à retardement, comme s'ils prenaient conscience de ta toute petite vie. Ceux qui ont demandé à voir tes photos, ceux qui ont demandé quelle odeur tu avais, ceux qui sont venus voir le champ où tes cendres se sont envolées. Ceux qui t'ont reconnu, qui te rendent hommage en te mentionnant. Et il y a ceux qui disent comme une excuse : mais il n'a pas assez vécu, mais comment parler de lui si je ne l'ai pas connu. Et se sont ceux là qui ne comprennent rien. Ceux là qui donneront des leçons sur la vie d'après, l'enfant d'après, ceux là qui imaginent des traumatismes là où il n'y en a pas. Notre famille est bénie par un ange personnel, notre fille aura son frère au ciel, mais elle aura toujours un frère. Ce n'est pas parce que j'ai perdu mon enfant que je ne suis pas certaine d'être une bonne mère. Au contraire, je le sais. Cette petite fille qui sera dans mes bras, ce ne sera pas la première. Je sais déjà, tellement, tellement, qu'il y a de la place dans mon coeur de maman pour de nombreux enfants. Que cet amour se démultiplie. Que j'étais bien faite pour ça, que je l'ai su à la seconde où je t'ai vu Théophile. Je t'ai aimé tout de suite. Et je l'aimerai aussi.


Mais en attendant, c'est le premier automne sans toi. Et toutes les saisons qui arrivent seront sans toi aussi. Et cette peine là ne partira pas. Les jours sont lourds et silencieux. Je vous parle, à toi, à elle. Parfois elle répond par un coup, parfois c'est toi qui me répond par un signe. 
Je suis entre terre et ciel.


21 novembre 2017

Quelle lumière



Je marche vers je ne sais quelle lumière. 

J'ai vu ta soeur sur cet écran, les examens sont bons, alors j'ai fermé les yeux pour ne plus voir. Ne plus souffrir à chaque image de son petit corps en 2D, ne plus craindre à chaque seconde une terrible nouvelle. Ne plus souffrir. Le temps où nous nous émerveillions devant l'échographie est révolu depuis si longtemps. Le temps de l'allégresse, tant de légèreté. Quand nous sommes rentrés ce soir après l'analyse, nous étions simplement là, hébétés, fatigués. Jusqu'ici tout va bien. C'est une phrase qu'on avait plus vraiment entendu. Jusqu'ici, tout va bien. Ta soeur se développe, et chaque jour je mesure la fragilité de son existence, de la tienne, de la notre à tous. Je m'imagine chaque petit tendon, petit os, chaque petit tissus, chaque petit amas de cellules organisées selon une logique maîtresse qui nous dépasse encore complètement. Ils appellent ça le mystère de la vie. 

Je marche vers je ne sais quelle lumière. Souvent je me demande si le soleil brillera autant qu'auparavant, sans toi. Pour l'instant il s'agit de faire comprendre aux autres que ce n'est pas le cas pour l'instant. Non rien ne brille. Ni le ciel pâle des jours qui passent, ni les villes que nous visitons, ni les fêtes qui approchent. Rien ne brille. Tout est recouvert d'une amertume qui voile n'importe quel rayon. Alors je marche mais je ne sais pas vraiment vers quelle lumière. Est-ce que ce petit être à l'intérieur de moi va me rendre le soleil. Va-t-elle me rendre la vie. Seras-tu une victoire, toi, dont j'ai choisi le prénom. Toi que j'espère, je ne t'attends pas car je ne sais finalement pas si tu seras là. Mais je t'espère. Je n'ai jamais autant voulu vivre et mourir en même temps. Je suis suspendue à chacun de tes battements. S'ils cessent, qu'on ne s'acharne pas. S'ils cessent, qu'on nous laisse ensemble cette fois.

14 novembre 2017

Le soleil se couche et je ne sais pas ce que j'attends.
Est-ce que c'est la nuit, le matin, toutes les heures me rapprochent de toi. Chaque seconde m'en rapproche. On ne sait finalement pas quand, mais ça au moins c'est certain.
Parfois je ne sais plus si je n'attends pas simplement la fin.

13 novembre 2017

Xibalba

Dans notre monde, on ne prie plus les morts. On les appelle pudiquement nos êtres chers, nos disparus. Où sont-ils allés, ces êtres que nous aimons par desssus-tout ? Où es-tu allé Théophile ? Tu n'as pas disparu comme une ombre qui s'éclipse, une étoile qui file, une lumière qui flambe en quelques secondes. Ce n'est pas ça qu'il s'est produit. Ce qu'il s'est produit c'est une incision profonde et chirurgicale dans toute ma matrice, une extraction de tout ton être recroquevillé et hypoxique, une réanimation longue et laborieuse. Une première respiration, faible et inaudible. Une vie de piqures, de toutes petites aiguilles. Une vie de souffrance et d'inconfort, le matelas devait être rêche, l'air devait être sec. Le manque de l'essentiel devait être infini. Ma douleur n'était peut être rien comparé à la tienne. Quand le placenta s'est décollé, qu'as-tu ressenti. Est-ce que c'était long. Est-ce que tu cherchais ton oxygène avec ta bouche, est-ce que tes mains raclaient les bords ? Comment est-ce possible?

Tu n'as pas disparu. Tu ne t'es pas simplement effacé comme on enlève une goutte d'eau, tu es plus que vivant en moi. Tu es plus que palpable. Quand je serre mes genoux l'un contre l'autre, quand je serre mes épaules avec mes mains, c'est toi que je sens. Tu es dans chaque fibre de mon être. Tu n'es pas un être cher, tu étais ce que j'avais de plus cher au monde. Tu étais le plus précieux de tous mes trésors. 

Où se trouve le monde de l'impossible? Celui où je serai avec toi, et où nous serions heureux. Il n'y a pas de disparus, il n'y a que des morts dont on a plus le droit de parler. Que des morts qu'on ne plus évoquer. Il n'y a aucune place pour toi dans le monde des vivants. Maintenant je comprends qu'il n'y a que les parents qui ne peuvent pas remplacer leur enfant. Il n'y a que les parents qui penseront toujours, qui aimeront à jamais. 

Le temps passe, oui. La douleur est moins aigue, moins acérée. Elle n'est pas moins facile, détrompe toi. On te ment quand on te dit que le temps guérit tout. Il y a des peines qui sont comme des coquillages, leur bord s'émousse avec les vagues, mais il reste toujours des coins un peu tranchants. Ils te blesseront quand tu ne t'y attendras pas. Ce sera un petit garçon qui court vers sa maman, un ballon, un petit train. Un sac à dos. Un gouter recouvert d'aluminium. Une date. Le temps n'aide pas, il passera, c'est tout. La vie semble moins importante en un sens, car ce n'est qu'un passage jusqu'à te retrouver. La vie semble plus importante, en un autre côté, parce qu'il faut l'aimer pour toi. Parce qu'on a choisi de rester, parce qu'Elle va naître, peut-être. Parce qu'on a fait le choix d'espérer. 

Je vais te dire comment ça va se passer. Au bout de quelques mois, les jours passeront vite, tu ne comprendra pas toujours comment s'est possible. Comment la Terre ne s'est pas arrêtée. Comment tu as pu ne pas te foutre en l'air. Ils te diront que c'est une cicatrice à jamais, et je ne suis pas d'accord : ça ne cicatrisera jamais. Ils te diront que la vie reprend, ce sera peut-être vrai, mais elle ne sera plus jamais la même. Ils te diront que maintenant d'autres enfants sont là, et tu pourras leur répondre que le premier né, le premier chéri, il n'est pas là, lui. C'est eux qui te diront qu'il ne faut pas remplacer les morts, et c'est les mêmes qui le feront. On te dira n'importe quoi. Personne n'aura confiance en ton jugement, en tes choix, personne ne sera dans tes chaussures, et Dieu qu'elles seront lourdes à porter. Dieu qu'elles seront inconfortables. Mais il faudra apprendre à courrir avec, à les rattraper tous, à revenir sur scène. Ils penseront que tu étais à la retraite. Mais toi tu sauras que tu as couru le marathon de toute ton existence, l'épreuve de toute ta vie. 

Je ne vaincrai jamais la mort. Elle t'a pris et j'ai tout perdu. La revanche que je veux, elle ne sera jamais complète. Je ne te tiendrai jamais dans mes bras de nouveau. Je ne serrerai plus jamais ton petit corps si beau. Ton départ a coupé tous les fils qui me retenaient aux faux-semblants. Ils pensent que je suis au crepuscule des choses. Moi je crois que je suis à l'aube de ma renaissance. Je pense qu'elle m'attends. Je ne vaincrai jamais la mort, mais si Elle, elle vit. Si Elle, elle respire de tous ses poumons. Si Elle, elle est rose et potelée. Si Elle, elle est déposée au creux de mes bras. Si Elle, elle est enlevée à temps. Si Elle, elle est sauvée. Se pourrait-il que son premier souffle soit aussi le mien? Se pourrait-il que son premier regard, soit aussi le mien? Ce premier regard, sera t-il aussi le tien. 

Ils te diront que tu as l'air resplandissante, en nouvelle maman. Mais ce ne sera pas vrai. Tu seras épuisée avant même d'avoir débuté. La course aura été si longue, tes forces seront épuisées. Mais tes ressources seront décuplées par ce cri que tu n'avais pas entendu la première fois. Ce cri de la Vie. Tu ne vaincras jamais la mort. Mais quand Elle criera, si Dieu le veut, quand Elle criera, tu sauras le prix de sa voix. Le privilège, immense, qui t'es fait.

Tu sauras toi, combien tu as retenu ton souffle si longtemps. Si longtemps en apnée pour te serrer contre moi. Ils penseront savoir, mais ils ne sauront pas. Ce sera peut-être ça, cette joie intense. Ce sera peut-être la mort de nouveau, personne ne sait. Ils te diront que la foudre ne tombe pas deux fois au même endroit, mais toi tu sauras que le pire est possible. Ils oublieront que tu n'as pour l'instant connu que ça. 

Les jours se raccourcissent avec l'hiver. Quelle tristesse de quitter l'automne, la période où Théophile allait bien. Je ne veux pas de l'hiver, je ne veux pas de cette dernière saison avant le dénouement. Je ne veux pas de ces fêtes qui ne peuvent pas en être, puisque tu n'es pas là. J'ai peur du futur comme jamais. Je ne vis qu'en apnée sans savoir si je vais continuer à vivre une fois le printemps retourné.


8 novembre 2017

جنّة

Il y a six ans j'arrivais avec ma valise sur le quai de la gare du midi.
Tu sais, j'ai plus vécu en six ans qu'en toute une vie. 
Je suis fatiguée de vivre, et en même temps je mesure la valeur de l'existence, bien plus qu'autrefois. 
Quand je pense à la personne que j'étais auparavant, je ne me reconnais pas.
Cette fille sur le bord des quais du Rhône, ce n'est plus moi depuis si longtemps. Elle ne m'intéresse même pas. Ce qu'elle se disait, les rêves qu'elle avait. Ils sont dérisoires par rapport au mystère de la vie et à la douleur de l'apprentissage. Je croyais connaître la souffrance. Pourtant je n'avais jamais souffert. Ces reliques du passé, je ne les souhaite plus dans ma vie. Ces questionnements inutiles, ces pseudo douleurs. Plus on parle de la souffrance et finalement moins on souffre en réalité. La vraie douleur elle n'admet plus l'écriture ni la parole. Elle clos les lèvres comme une mort.

Prendre ce train le 8 novembre 2011 et quitter Lyon, c'est la meilleure décision de ma vie tu vois. 
C'est quand il a fallu décider où mettre tes cendres que j'ai compris que mon pays, ce n'était plus là bas. C'est en haut, avec toi. C'est le Jannah. Je n'ai jamais eu vraiment de pays de toute façon, peut être parce que ma destiné c'est de vivre dans l'espoir de ce jardin où la douleur de ne pas pouvoir te toucher n'existera plus. 

Quand on me dit que la vie reprend parce que j'en porte une nouvelle au creux de moi, ils te font mourir une seconde fois. J'ai passé vingt-neuf ans de ma vie à en chercher un sens, et c'est toi qui me la donné. Toi dans ta petite boite humidifiée, toi et ta petite peau rouge, si fragile, si douce. Tu es la peau la plus douce que j'ai pu touchée Théophile. Tu avais encore le lanugo du nouveau-né, tu étais plus que neuf, tu étais prématuré. Et pourtant tellement terminé. Ta petite main, elle n'a pas vraiment eu le temps de serrer la mienne. Moi j'étais sure que tu allais survivre, moi j'étais là dans mon lit, je ne suis pas souvent venue te voir, j'étais sure que tu allais survivre, je pensais que nous étions au début du combat. En vérité c'était le clap final de ta toute petite vie. Tu l'as vécu avec ton papa qui est resté longtemps à côté de ta couveuse, les mains sur ton corps, à communiquer par la peau avec toi. Peut-être que c'était vôtre moment, le mien je l'avais eu sans le savoir pendant des mois. Des mois à vomir et soupirer que la grossesse est difficile. Des mois sans savoir. En fait on ne sait jamais rien. 

Ca fait six ans que je suis ici, et c'est l'anniversaire de toute ma vie. 
J'étais destinée à le prendre ce train, à descendre à Bruxelles-midi avec mon manteau gris. Tu es l'aboutissement de toutes ces années où j'ai rencontré, aimé, construit, espéré. Tu es notre enfant, ce timide "nous" qu'on chérit et pour lequel on se bat. Personne ne le fêtera cet anniversaire, pourtant c'est peut être aujourd'hui que je suis née. Avec toi dans mon coeur, et cette minuscule petite fille dans mon corps. Unis tous ensemble dans la même chair, partageant le même sang. Je vous aime mes enfants. Je vous aime comme je n'ai jamais aimé. 

C'est l'aube de toute une vie. Tu es peut être parti mais tu es là en moi. Je te respire encore, ton odeur de menthe fraîche, je te câline dans ma tête, je caresse ta tête et tes petits cheveux mouillés. J'embrasse ta bouche aux lèvres de ton papa. Je prends tes petites jambes en grenouille dans le creux de ma main, je passe mon doigts sur les lignes de tes petits pieds, je lèche la paume de tes mains comme un animal. Tu es mien, je te reconnais. 

Pourquoi t'ont-ils arraché de mon ventre. Pourquoi ce qu'il m'est resté de toi c'est cette cicatrice de quinze centimètres et douze points. Les autres grimacent, mais moi je n'ai pas mal. Ce n'est pas ici que j'ai mal. C'est dans mon ventre, le vide intersidéral. C'est dans mon coeur de maman qui cherche son petit partout. Ce coeur ne comprend pas la mort de l'enfant. Même quand tout le reste le sait, lui il ne comprends pas. Il cherche le jour, il cherche la nuit. La mère endeuillée a des bras invisibles qui cherchent son petit à chaque heure. A chaque seconde elle cherche. Mais où est-il? Il devrait être ici, ou là, dans mes bras. Il devrait être encore au creux de moi. Quels sont ses spasmes qui m'agitent ?   Pourquoi mon fils est-il devenu un membre fantôme qui me donne des coups de pied ? 

Après toi, mon utérus était une maison dévastée par un ouragan.
Je suis sure que Théophile a dû tout laisser sur son passage, ils l'ont délogé sans ménagement, le placenta s'est barré comme un voleur. Erreur de fabrication. Qu'as-tu laissé derrière toi Théophile? Est-ce qu'Elle sait, elle, nouveau locataire? Est-ce qu'elle sent ? J'aime à penser que tu reviens visiter cette douce cavité que tu as toujours connu. J'aime à penser que tu l'enlaces, la rassures et la berces, quand moi je ne peux pas le faire. J'espère que lorsque je pleure, tu es là pour lui dire que je ne pleure que d'amour. 

J'aime me dire quand je dors, nous sommes réunis. Nous dans le lit, Elle gigotant au fond de moi, toi dans le creux de tes cendres, et le chat dans sa boite. C'est peut-être pas l'idéal, mais c'est notre famille. C'est l'anniversaire de ta maman Théophile. C'est l'année zéro de sa vie. Le futur est une nuit sans fin. Apportera-t elle des joies, des peines ?  Il n'y a plus de certitude quand l'impensable a frappé une seule fois. Mais tu es mon étoile, peu importe la mer, le navire de mon amour est insubmersible. L'amour ne passera jamais.


6 novembre 2017

Le noir sans étincelle

Combien de fois n'ais-je souhaité te rejoindre, Théophile. La place d'une mère n'est-elle pas auprès de son enfant bien aimé? Je serais dans le ciel à te bercer de tous mes bras de pieuvre maternelle, à me nourrir de ton odeur, à t'embrasser. Tu étais si doux Théophile, ta peau était tellement satinée, j'en étais émerveillée. Tu étais le plus doux que je n'ai jamais étreins, le plus doux que je n'ai jamais touché. Tu étais merveilleux.

Comment avancer sans toi à mes côtés. Il n'y a pas de guide pour celui qui a perdu un enfant. Les gens n'ont pas de mots, les gens n'ont pas de ressources. J'ai compris maintenant ce que ça signifie quand on dit que parfois, personne ne peut nous aider. Je suis seule avec toi, mon petit garçon bien aimé. Moi seule t'ai porté, moi seule connais tes gestes doux, tes petits coups, moi seule t'es crée de tout mon être en te donnant le pain et l'eau de chaque jour, en te façonnant aux battements de mon coeur. Je suis morte avec toi. Ce coeur qui battait à l'unisson du tien, il est mort avec toi. Il y a un infarctus à l'intérieur, quelque chose s'est éteint, les cellules se sont grisées. Une mère meurt quand son enfant s'en va. C'est l'ombre d'elle même qui reste. Et ensuite il faut un temps inimaginable pour reconstruire quelque chose qui ressemble à ce nouveau nous-même. Mais ce nous sans toi, ce n'est pas nous. Aucune mère n'est complète quand manque son enfant.

Huit mois après ton départ, il y a encore des douleurs qui ne peuvent pas s'écrire. Des images qui arrivent dans ma tête comme un film horrible. Des images, qui ne peuvent pas se dire.

Dieu que la route est longue pour rassembler tous ces morceaux de moi-même.
Tu me manques d'un manque juste inimaginable, inexprimable. Un manque animal, visceral.
Un manque à la hauteur de mon amour.