8 novembre 2017

جنّة

Il y a six ans j'arrivais avec ma valise sur le quai de la gare du midi.
Tu sais, j'ai plus vécu en six ans qu'en toute une vie. 
Je suis fatiguée de vivre, et en même temps je mesure la valeur de l'existence, bien plus qu'autrefois. 
Quand je pense à la personne que j'étais auparavant, je ne me reconnais pas.
Cette fille sur le bord des quais du Rhône, ce n'est plus moi depuis si longtemps. Elle ne m'intéresse même pas. Ce qu'elle se disait, les rêves qu'elle avait. Ils sont dérisoires par rapport au mystère de la vie et à la douleur de l'apprentissage. Je croyais connaître la souffrance. Pourtant je n'avais jamais souffert. Ces reliques du passé, je ne les souhaite plus dans ma vie. Ces questionnements inutiles, ces pseudo douleurs. Plus on parle de la souffrance et finalement moins on souffre en réalité. La vraie douleur elle n'admet plus l'écriture ni la parole. Elle clos les lèvres comme une mort.

Prendre ce train le 8 novembre 2011 et quitter Lyon, c'est la meilleure décision de ma vie tu vois. 
C'est quand il a fallu décider où mettre tes cendres que j'ai compris que mon pays, ce n'était plus là bas. C'est en haut, avec toi. C'est le Jannah. Je n'ai jamais eu vraiment de pays de toute façon, peut être parce que ma destiné c'est de vivre dans l'espoir de ce jardin où la douleur de ne pas pouvoir te toucher n'existera plus. 

Quand on me dit que la vie reprend parce que j'en porte une nouvelle au creux de moi, ils te font mourir une seconde fois. J'ai passé vingt-neuf ans de ma vie à en chercher un sens, et c'est toi qui me la donné. Toi dans ta petite boite humidifiée, toi et ta petite peau rouge, si fragile, si douce. Tu es la peau la plus douce que j'ai pu touchée Théophile. Tu avais encore le lanugo du nouveau-né, tu étais plus que neuf, tu étais prématuré. Et pourtant tellement terminé. Ta petite main, elle n'a pas vraiment eu le temps de serrer la mienne. Moi j'étais sure que tu allais survivre, moi j'étais là dans mon lit, je ne suis pas souvent venue te voir, j'étais sure que tu allais survivre, je pensais que nous étions au début du combat. En vérité c'était le clap final de ta toute petite vie. Tu l'as vécu avec ton papa qui est resté longtemps à côté de ta couveuse, les mains sur ton corps, à communiquer par la peau avec toi. Peut-être que c'était vôtre moment, le mien je l'avais eu sans le savoir pendant des mois. Des mois à vomir et soupirer que la grossesse est difficile. Des mois sans savoir. En fait on ne sait jamais rien. 

Ca fait six ans que je suis ici, et c'est l'anniversaire de toute ma vie. 
J'étais destinée à le prendre ce train, à descendre à Bruxelles-midi avec mon manteau gris. Tu es l'aboutissement de toutes ces années où j'ai rencontré, aimé, construit, espéré. Tu es notre enfant, ce timide "nous" qu'on chérit et pour lequel on se bat. Personne ne le fêtera cet anniversaire, pourtant c'est peut être aujourd'hui que je suis née. Avec toi dans mon coeur, et cette minuscule petite fille dans mon corps. Unis tous ensemble dans la même chair, partageant le même sang. Je vous aime mes enfants. Je vous aime comme je n'ai jamais aimé. 

C'est l'aube de toute une vie. Tu es peut être parti mais tu es là en moi. Je te respire encore, ton odeur de menthe fraîche, je te câline dans ma tête, je caresse ta tête et tes petits cheveux mouillés. J'embrasse ta bouche aux lèvres de ton papa. Je prends tes petites jambes en grenouille dans le creux de ma main, je passe mon doigts sur les lignes de tes petits pieds, je lèche la paume de tes mains comme un animal. Tu es mien, je te reconnais. 

Pourquoi t'ont-ils arraché de mon ventre. Pourquoi ce qu'il m'est resté de toi c'est cette cicatrice de quinze centimètres et douze points. Les autres grimacent, mais moi je n'ai pas mal. Ce n'est pas ici que j'ai mal. C'est dans mon ventre, le vide intersidéral. C'est dans mon coeur de maman qui cherche son petit partout. Ce coeur ne comprend pas la mort de l'enfant. Même quand tout le reste le sait, lui il ne comprends pas. Il cherche le jour, il cherche la nuit. La mère endeuillée a des bras invisibles qui cherchent son petit à chaque heure. A chaque seconde elle cherche. Mais où est-il? Il devrait être ici, ou là, dans mes bras. Il devrait être encore au creux de moi. Quels sont ses spasmes qui m'agitent ?   Pourquoi mon fils est-il devenu un membre fantôme qui me donne des coups de pied ? 

Après toi, mon utérus était une maison dévastée par un ouragan.
Je suis sure que Théophile a dû tout laisser sur son passage, ils l'ont délogé sans ménagement, le placenta s'est barré comme un voleur. Erreur de fabrication. Qu'as-tu laissé derrière toi Théophile? Est-ce qu'Elle sait, elle, nouveau locataire? Est-ce qu'elle sent ? J'aime à penser que tu reviens visiter cette douce cavité que tu as toujours connu. J'aime à penser que tu l'enlaces, la rassures et la berces, quand moi je ne peux pas le faire. J'espère que lorsque je pleure, tu es là pour lui dire que je ne pleure que d'amour. 

J'aime me dire quand je dors, nous sommes réunis. Nous dans le lit, Elle gigotant au fond de moi, toi dans le creux de tes cendres, et le chat dans sa boite. C'est peut-être pas l'idéal, mais c'est notre famille. C'est l'anniversaire de ta maman Théophile. C'est l'année zéro de sa vie. Le futur est une nuit sans fin. Apportera-t elle des joies, des peines ?  Il n'y a plus de certitude quand l'impensable a frappé une seule fois. Mais tu es mon étoile, peu importe la mer, le navire de mon amour est insubmersible. L'amour ne passera jamais.