30 novembre 2017

Mon hiver


Voilà le premier jour de neige. Les flocons auraient caressé ton petit nez pendant qu'on préparerait ton premier Noel. Par la fenêtre de la grande baie vitrée, je regarde les petits moineaux qui viennent picorer les graines, en espérant peut-être t'apercevoir. Le temps a filé mon petit Théophile, d'un coup l'hiver est arrivé comme une chappe de plomb, le ciel c'est rapproché de l'état de mon coeur, il est devenu gris et noir. La pluie tombe à l'intérieur de moi aussi, sans discontinuer. Les feuilles mortes s'amoncellent dans le jardin, il est loin le temps où je jardinais sans relâche car c'était la seule chose que je savais encore faire. Cultiver cette terre pour oublier mon ventre devenu un trou béant de cimetière. J'en ai planté des rosiers, toutes les plantes portent ton nom et celles d'autres petits enfants partis tellement tôt. Maintenant les fleurs sont tombées, les branches sont grises. Je regarde la nature mourir avec étonnement. Pourquoi n'est-elle pas morte plus tôt, comment c'est possible que le printemps soit arrivé après ta mort. Comment est-ce possible qu'en mars, il va de nouveau revenir. On dirait que l'hiver a débarqué à retardement, qu'il devait venir en février dernier quand tu as fermé tes si beaux yeux. Car mon hiver à moi est arrivé à ce moment où j'ai reposé ton corps dans le berceau et où mes mains se sont vidées en même temps que mon âme, de toute leur substance. Mon hiver à moi est arrivé en février, et je ne suis pas capable de réaliser que quelque chose fleurit de nouveau. Cette petite fille en moi, que ressent-elle? Je n'arrive pas à m'adresser à elle, comme si lui parler la ferait disparaitre aussitôt, comme un petit animal saisi d'effroi. Est-ce qu'elle se sent bien dans sa petite maison. Est-ce que tu as laissé une place toute chaude et agréable. Dis moi que tu lui rends visite pour lui donner l'amour qui s'est tari en moi. Dis moi que tu la serres dans tes bras d'ange, car moi je ne peux pas l'atteindre. 

Mon hiver à moi n'est pas fini, et il a commencé depuis déjà tellement de mois. Tellement de mois sans toi Théophile. Est-ce toi cette petite mésange bleue qui vient dans l'abri sous la neige ? Est-ce toi le rouge-gorge qui regarde à la fenêtre ? Nous te chercherons toute notre vie. C'est la malédiction du parent désenfanté de chercher l'enfant perdu partout. Partout on cherchera. Dans un regard, dans un aimal, dans un nuage. On cherchera des réponses qu'on obtiendra jamais : est-ce que c'était écrit dans les lignes de ma main, est-ce que j'aurais pu changer quelque chose pour te sauver. Est-ce que j'ai vraiment tout fait. 

On ne jouera pas dans la neige, tu ne feras pas de luge. Et ce Noel est bien le plus triste de toute ma vie. Et comme pour le soleil qui brille, je me pose la même question : pourquoi les lumières scintillent, pourquoi les chants sont joyeux, pourquoi les foules se pressent dans les magasins, pourquoi le monde continue-t-il d'être heureux. Pourquoi ne sommes nous que deux sur cette carte de voeux. 

Il y a des douleurs qui ne saignent qu'à l'intérieur. Avec le temps qui passe j'ai fini par mettre un sourire sur ma blessure. Je prépare méticuleusement une petite chambre rose et doré en me demandant toujours dans quelles couleurs tu aurais évolué. Je prépare cette chambre pour conjurer le sort, j'installe tout pour que cette fois le bonheur arrive, pour qu'il soit certain d'être attendu et très bien acceuilli. Pour que ce bonheur ne s'enfuie pas. La table à langer est dans la salle de bain, les lapins en peluche dans leur panier, les petites robes sont dans l'armoire, les carrés de mousseline, les draps, le petit lit blanc. Ne part pas cette fois. Cette fois regarde tout est prêt pour le bonheur. Ne part pas cette fois. Cette fois je ne le supporterai pas. 

Est-ce que tu vois le tapis blanc qu'est devenu le jardin, depuis le ciel ? Est-ce que tu seras là à quand Elle lancera sa première boule de neige ? J'ai choisis son prénom, et toi je sais que tu le connais. Peut-on souffrir et être heureux en même temps pendant longtemps? Je n'ai pas encore appris à vivre avec cette dualité Théophile, je n'apprendrai jamais à vivre sans toi. Je ne ferai pas avec. J'apprendrai à vivre avec toi dans mon coeur, dans ma voix, j'apprendrai à vivre sans cette partie de moi que tu as emmené de l'autre côté avec toi. Je ne sais pas encore ce que c'est la vie sans toi, je la découvre tout juste. Elle est tortueuse, elle est étrange et parfois je n'arrive plus à me souvenir de ce que j'étais auparavant, avant le jour zéro de mon existence. Je n'arrive plus à me souvenir de la manière dont je raisonnais, des préoccupations qui m'animaient. Je ne sais pas encore, je dois apprendre à vivre avec ce deuil qui prend chaque jour une nouvelle forme. Je ne sais pas encore non plus comment vivre avec Elle. J'apprendrai ça aussi. Ce sera surement aussi doux que difficile. Tu vois je ne sais même plus si je suis épuisée ou si j'ai encore plus de force qu'avant. 

Je sais que c'est ce coeur qui bat à l'intérieur de moi qui a remplacé le mien. Mutuellement, chacune, nous nous façonnons, je la crée pendant qu'elle panse chaque petite incision que le destin a creusé. Je l'oxygène, pendant qu'elle caresse chacun de mes petits atomes morts d'asphyxie. Je me demande souvent si elle me fera revivre. Mais au final c'est elle qui fait que chaque jour je respire. Chacun de ses coups me fait sourire comme au premier jour; comme à la première grossesse. Le malheur m'a enlevé toute naiveté, mais personne ne m'enlevera l'émerveillement devant cette nouvelle petite vie. Personne ne m'enlevera le désir de voir jouer des enfants dans mon jardin, l'espoir de serrer les miens dans mes bras, l'envie de me battre pour nous. Regarde moi Théophile. Regarde moi depuis le ciel. Elle ne m'a pas anéantie cette putain de maladie. Personne ne m'enlèvera le bonheur de continuer de vivre et de chérir chaque seconde pour toi.